En 1990, Tom Stoppard (dramaturge britannique, auteur de nombreux scénarios dont le brillantissime Shakespeare in Love) a adapté au cinéma sa pièce de 1966, Rosencrantz and Guildenstern sont morts, avec Tim Roth et Gary Oldman dans les deux rôles-titres.
Il s'agit d'une adaptation d'Hamlet de Shakespeare, mais vu du point de vue des deux compagnons d'université d'Hamlet, Prince du Dannemark, que le roi charge de sonder la folie de leur camarade, et qui finiront exécutés à sa place, en Angleterre.
Si la pièce de Shakespeare s'achève en bain de sang, la plupart des morts sont expliquées, et peuvent satisfaire à une volonté moralisatrice. Pour autant, celle de Rosencrantz et Guildenstern est totalement absurde, péremptoire. Rosencrantz et Guildenstern, ou Guildenstern et Rosencrantz n'ont aucune personnalité, aucun relief, aucun passé, aucun avenir. Tout ce qu'on sait d'eux, c'est qu'ils sont morts.
Tom Stoppard s'empare de cette difformité de la pièce de Shakespeare pour réaliser son chef-d'oeuvre. Ces deux pauvres diables qui arrivent sur scène sans savoir comment et n'en ressortiront, quoi qu'ils fassent, que morts, sans qu'ils puissent se défendre (et sans autre forme de procès, dirait Kafka), c'est nous. C'est l'humanité. Nous tentons d'agir, de comprendre ce qui nous entoure, d'aimer, d'observer, mais finalement la seule certitude qui soit, c'est que nous sommes en vie, dans un univers que nous sommes impuissants à apréhender, et que nous allons mourir.
Ainsi Rosencrantz et Guildenstern herrent dans le palais d'Hamlet, où l'on voit successivement toute l'action se dérouler, par bribes, au gré des passages de la Cour et des Princes dans les différentes salles. De l'action, ils ne comprennent rien. Hamlet, quant à lui, s'agite de manière totalement accessoire. C'est un personnage secondaire de l'intrigue. Au même titre que Polonius, le roi, la reine, Laërte ou Ophélie.
Rosencrantz et Guildenstern, se sont aussi des spectateurs qui ne comprennent rien à la pièce qu'ils vont voir, et ne comprennent pas que le théâtre, s'il présente des personnages contingents, s'adresse à chacun. Une mort de théâtre, c'est la mort de chaque homme, c'est la nôtre.
De fait, la pièce joue de mises en abîmes où les personnages voient des pièces où l'on joue leur propre vie, et ne s'en rendent pas même compte.
HIlarant et désespéré, le destin de Rosencrantz et Guildenstern, contrairement à leur ébauche shakespearienne, ne peut pas laisser indifférent. A l'image de cette scène d'ouverture où après des centaines d'essais à jouer à pile ou face, la pièce tombe toujours du même côté, après des centaines de représentations, leur destin sera, à chaque fois, le même, et ils le vivront, à chaque fois, avec le même étonnement. Comme l'humanité.
Tel ce roi mourant de Ionesco, à qui, soir après soir, on dit : "Tu vas mourir à la fin du spectacle".